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La qualif

 

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Aujourd’hui, le rouge est à bâbord, le vert à tribord, et le verre de rouge à ras bord. Parce qu’il y a un truc qui s’arrose : c’est la première fois que je fais un parcours sans me tromper! Je viens de boucler le parcours de qualification hors course de 1000 milles sans escale, qu’il faut faire en plus des milles en course à accumuler.

 

Parcours

Parcours

Le parcours est une boucle autour des trois marques suivantes :

  • bouée Coninbeg en Irlande
  • plateau de Rochebonne dans le golfe de Gascogne
  • île de Ré

On rentre dans la boucle à n’importe quel endroit, et on termine en ralliant son point de départ, Lorient pour moi.

On peut faire la boucle dans le sens qu’on veut. En général, on préfère partir vers l’Irlande en premier pour des raisons météo.

 

 

Préparatifs

L’objectif est donc d’effectuer cette qualif au cours du mois d’août. Avec mon entraîneur Hervé Laurent, on attend la fenêtre météo qui va bien pour déclencher le départ. Ici, en Bretagne Sud, les conditions sont belles pour naviguer. Ce n’est pas le cas en Irlande, où les fronts musclés se succèdent comme le tram 15 à Genève. Ou le tram A à Strasbourg, ça marche aussi. On ne demande pas une véranda, juste la petite fenêtre suffisante pour pouvoir passer entre deux, mais avec quand même assez de vent pour ne pas traîner là-haut.

Ça marche pour un départ le 6 août. Enfin, ça devrait. Pas d’inquiétude pour aller virer la bouée irlandaise. En revanche, il y a un truc à surveiller : certains modèles annoncent un coup de vent à ne pas mettre l’étrave dehors autour du 14 août, soit vers la fin de ma qualif. Celle-là concerne toute la façade atlantique. Il s’agit d’une dépression issue d’un cyclone formé au large de la Floride, qui rebondit comme une boule de billard, monte en latitude, se ramollit en bonne tempête « normale » de l’Atlantique nord et traverse pour venir faire tourner les éoliennes chez nous et nous approvisionner en énergie durable. Un voisin de ponton m’assure :  ah, le coup du 15 août, c’est un classique ! Allons, bon. Qu’est-ce qu’on s’amuse.

Copie d'écran Windy

Voici la tête que ça avait sur Windy, modèle européen, une douzaine de jours avant. CQFE = Ce Qu’il Fallait Éviter

 

 

Cela ne remet pas en cause le départ, pour plusieurs raisons :

  1. la fiabilité de cette prévision est assez faible, car c’est encore loin dans le temps et les modèles divergent.
  2. Les escales dans un port sont autorisées en cas de BMS (seules escales autorisées, la justification doit être béton)
  3. mouiller dans un abri sans aller à terre n’est pas considéré comme une escale à justifier, et comme je serai en fin de parcours, il y a quelques endroits où c’est possible
  4. certains routages entrevoient même la possibilité d’arriver à Lorient avant le coup de vent.

Le fin mot de l’histoire, c’est que ce coup de vent n’aura pas lieu. Je constate qu’il a disparu des modèles en captant du réseau près de la côte anglaise, dès le troisième jour. Un problème en moins ! J’avais quand même fait une copie d’écran, ça vaut le détour :

Le départ

photo départ

Départ en qualif (photo Hervé Laurent)

 


Je viens de partir et je suis encore dans le coureau de Groix quand je me rends compte que mon antenne VHF/AIS ne marche pas. En fait, la soudure d’étain sur le connecteur du câble coaxial s’est dégradée. Ça marchait pourtant il n’y a pas longtemps. Mille millions de mille sabords.

 

J’ai toute une trousse avec du matériel d’électricité et des cosses en tout genre, qui alourdit mon bateau et que je vais devoir matosser pendant 8 jours. Mais pas de connecteur comme ça, ni de quoi refaire la soudure, évidemment. Si je rentre au port régler le problème, je rate le timing de la fenêtre, évidemment. Alors je vais installer mon antenne de secours, évidemment. Et je vais éviter de me prendre les pieds dans le câble, pas du tout évidemment.

À chaque changement d’amure, je la déplacerai pour qu’elle soit toujours sur le chandelier au vent. Sous le vent avec la gîte, même pas la peine d’y penser. La réception est aléatoire et elle serait arrosée pendant 8 jours.

 

antenne de secours

L’antenne de secours. Ce n’est pas du luxe d’en avoir une à bord.

 

Je cogite : il se trouve que j’ai à bord un manche à balai télescopique (on embarque de ces choses). Je le verrais bien fixé sur le tube oblique du balcon arrière pour que l’antenne soit plus en hauteur, tout en étant dégagée des panneaux solaires et des bastaques. Problème : la longueur du câble ne suffit pas. Ils sont bien marrants dans la notice : livrer le truc avec un câble court, pour ensuite préciser qu’il faut l’installer « le plus haut possible »…

 

Jour 1

La première journée se passe au près dans une vingtaine de nœuds. La mer secoue un peu. Un peu, c’est combien ? Je n’ai pas vraiment le compas dans l’oeil. La météo parle en échelle Douglas. Moi, je préfère l’exprimer en nombre de Mercalm avalés, ou encore mieux, en nombre de feuilles de sopalin déroulées. J’ai un rouleau de sopalin qui trône toujours sur un bout tendu en travers de la cabine. Très pratique pour plein de choses. Si la première feuille pendouille, les mouvements du bateau peuvent l’amener à se dérouler carrément. Il suffira ensuite de noter dans mon journal de bord, à la colonne « état de la mer » : 4 tours de sopalin. Au moins, c’est objectif !

Je me fais dépasser par un IMOCA à 11 nœuds, lui aussi au près. C’est deux fois ma vitesse. Se dire qu’on peut faire des vitesses à deux chiffres au près serré, c’est assez bluffant. Mais se dire ensuite que pour multiplier la vitesse par deux, il faut multiplier la taille du bateau par presque trois, et son prix par… bon là on arrête de calculer, on finit par penser que comparé à tout ce qui flotte autour de nous, un mini, c’est un assez bon rapport moyens engagés / vitesses atteintes.

Plus tard dans la journée, on change encore une fois de galaxie. L’AIS se met à biper. C’est un bateau très loin derrière, et pourtant il rentre déjà dans les critères de l’alarme ? Ah oui, le truc déboule à 30 nœuds, quand même. Un point sur l’horizon, mais il va nous croiser dans un instant. C’est le trimaran Gitana. La mer aujourd’hui, c’est un peu comme à la piscine : on a la pataugeoire, le moyen et le grand bassin. On est peinards, nous, dans la pataugeoire.

La nuit tombe. On va la ramasser. Demain sera un autre jour.

Gitana

Gitana sur la voie de gauche. Et ils n’ont même pas mis le clignotant !

Jour 2

Le jour se lève pour le passage du raz de Sein. Encore une belle photo.

Tévenec

L’îlot Tévennec avec son fameux phare hanté, dans la lumière matinale. Même pas peur.

 

Ouessant

La deuxième journée se passe en mer d’Iroise jusqu’à Ouessant. Ouessant et ses cinq phares, dont Nividic, le plus à l’ouest. Le ciel se couvre, le vent n’est pas excessif, mais la mer ressemble à un sacré chantier. Ça ne se voit jamais sur les photos. Pour les rats des villes : on dirait l’état de la route quand ils font des travaux de voirie à n’en plus finir. Pour les rats des champs : on dirait le terrain de foot municipal labouré par les sangliers. La houle désordonnée secoue le bateau de manière plutôt disproportionnée par rapport à la force du vent. Un peu n’importe quoi. C’est comme ça, c’est le Phare Ouest ici !

Ouessant

Passage au large d’Ouessant, qu’on devine ici si on a de bons yeux.

 

La même chose agrandie : à gauche, le phare du Creac’h. À droite, celui de Nividic, le phare Ouest.

 

Il aurait fallu être plus près pour de faire de meilleures photos, mais les cailloux et moi, ça fait deux. Alors je me suis assuré de passer bieeeen au large !

 

Le rail d’Ouessant

Ouessant est franchie dans l’après-midi, et j’aurai encore le temps de passer le rail des cargos avant la nuit. À 20 milles d’Ouessant, on traverse la voie montante. Puis c’est la zone tampon, et rebelote, même exercice avec la voie descendante. Le règlement de la qualif nous demande de contourner le DST proprement dit, mais comme on croise nos amis les cargos juste en sortie du rail, le trafic est le même.

Nous sommes donc bien en dehors des limites de ce fameux rail, et ce sont les règles générales du RIPAM qui s’appliquent. Ce qui veut dire, devinez quoi ? Que je suis prioritaire, moi, sur ma coque de noix, par rapport à ces mastodontes d’acier. Eh oui, parce que je navigue à la voile, moi, s’il vous plaît ! Je dois avouer que tout prioritaire qu’on est, on se sent quand même petit, et on vérifie que le bonhomme est vert avant de traverser.

rail d'Ouessant

Ouessant, entourée en rouge, et son Dispositif de séparation du trafic (DST), communément appelé le rail, en violet. Cartographie en libre accès sur data.shom.fr.

 

 

La Manche

Quand la nuit tombe, le rail d’Ouessant est bien derrière moi. Je gagne vers le nord pour traverser la Manche, direction Land’s End, la pointe de la Cornouaille. Depuis Ouessant, je navigue dans des eaux que je n’ai jamais fréquentées jusque-là. À chaque mille parcouru, je m’éloigne un peu plus de ma base pour aller plus loin que ce que j’ai fait jusque-là. Ce sera le cas jusqu’à la bouée en Irlande. J’avais longtemps fixé cet horizon depuis le sentier côtier, du côté de la pointe Saint-Mathieu ou vers la pointe du Toulinguet, en mer d’Iroise. Je passais mon temps à imaginer ce qu’il pouvait bien y avoir derrière. Aujourd’hui, ça y est, j’y suis. Le mini est une formidable école.

Alors que j’approche de la côte anglaise, le vent adonne et se renforce. C’était prévu. C’est le flux qui va ensuite me propulser jusqu’en Irlande. Il fait encore nuit quand je passe entre l’Angleterre et les Scilly, en laissant à bâbord le rail des cargos. Encore un, mais je n’ai pas à le franchir, celui-là, je le longe parallèlement. Et puis, rien à voir avec le trafic du rail d’Ouessant. Il pleuviote et la visibilité commence à se réduire, mais je vois quand même les éclats des phares. On fait gaffe, et on se sent mieux quand le passage le plus étroit est laissé dans le sillage. Encore quelques milles vers le nord, pour ne pas empiéter sur le DST, puis je pourrai prendre un cap direct vers la bouée irlandaise. J’ai toute la mer Celtique devant moi.

 

Mer celtique – jour 3

Quand le jour se lève, la côte est loin derrière moi. On m’avait fait la pub pour ses immenses falaises, ses paysages époustouflants et tout ça. Ce sera pour une autre fois. En plus, le temps est à la pluie et la visibilité réduite à moins d’un mille. Je découvre l’état de la mer avec le lever du jour : normal que ça secoue un peu ! Les creux ne sont pas énormes, mais ça tape et éclabousse quand même. Je suis vent de travers, bien content de ne pas devoir faire du près là-dedans ! À chaque fois que je sors faire mon tour d’horizon, la respiration de la mer donne une impression de puissance sans hostilité non plus. C’est beau à contempler.

Mais je suis quand même content de retourner au sec illico. Or justement, pour que l’intérieur reste sec, je suis obligé de naviguer avec le capot entièrement fermé. Ça rend l’ambiance un peu glauque. En fin de journée, le bateau se met à taper tellement que je décide de ralentir. C’est trop saccadé, j’en ai marre. Inutile de s’imposer ces conditions si on n’est pas en course. J’affale devant, je reste sous GV seule à deux ris, et je navigue entre 5 et 6 nœuds. Si on compare aux polaires du bateau à cet angle… en fait non il vaut mieux ne pas comparer ! On a l’impression de mal s’occuper de son bateau. Mais à l’intérieur, ça va beaucoup mieux, j’arrive à me détendre. Il faut respecter le bonhomme, aussi.

N’empêche, on a bien bossé pendant la journée, et on s’approche de l’Irlande. D’après mes petits calculs – enfin, ceux de mon GPS – on sera à la bouée vers minuit.

 

Irlande

C’est finalement vers deux heures du matin que je contourne cette fameuse bouée Guinness. Euh, Coninbeg, pardon. C’est la marque la plus au nord du parcours. Je prends large, car ce n’est qu’une lumière qui clignote par intermittence, et de nuit, la perception visuelle des distances est trompeuse. En plus, il faut encore que je descende prendre un selfie où l’on voit ma pomme à côté de l’écran du GPS, comme preuve de passage de la marque. Il ne manquerait plus que je me paye la bouée pendant ce temps !

J’ai dit prendre large, mais pas trop non plus, parce que ce machin, c’est une cardinale sud, quand même ! Il y a de la marge, mais les cailloux sont à deux milles au nord, alors, pas d’excès de zèle. J’ai bien étudié le truc, et naturellement rentré les limites à ne pas dépasser, avec une marge de sécurité dans mon GPS. Il y a de la place, ça va, mais c’est un soulagement quand j’ai enfin fini toutes les « formalités » et que je peux remettre cap au sud. J’aime la voile quand il y a de l’eau à courir devant.

Coninbeg

Ma trace autour de la bouée.


Je viens d’atteindre le point du parcours le plus éloigné de mon port de départ. Maintenant, je reviens sur mes pas. La montée vers l’Irlande s’est faite assez rapidement, grâce à la belle fenêtre météo dégotée par mon entraîneur. De l’Irlande, je n’aurai aperçu que des lumières sur la côte, et croisé un bateau de pêche. Ça va devenir une habitude, de passer de nuit partout où il y a quelque chose à voir !

Je n’aurai pas vu l’Irlande, mais je l’ai entendue, au moins ! À la VHF, par la voix du monsieur qui donne la météo côtière pour le lendemain. Parce qu’il y a un truc que les Irlandais font nettement mieux que nous : chez eux, le bulletin météo, c’est une vraie personne qui s’adresse à d’autres vraies personnes. Une voix tout à la fois professionnelle et non dénuée d’empathie. Rien à voir avec cette voix de synthèse agaçante qui chez nous débite sans âme les bulletins Météo France.

 

Jour 4

La redescente vers Land’s End se fait dans des conditions plus favorables que la montée. Le bateau glisse sans taper cette fois, et le ciel est bleu. J’arrive en vue des côtes anglaises en fin d’après-midi. Pour une fois, c’est de jour !

J’attaque à nouveau la Manche quand la nuit tombe. Le lendemain matin, je suis à Ouessant. J’ai traversé les cargos qui convergent vers le rail descendant quand il faisait encore nuit, et ceux qui sortent du rail montant aux premières lueurs du jour. Ça, c’est fait.

 

 

Mer d’Iroise – jour 5

Comme à l’aller, je choisis de passer Ouessant par le large plutôt que de prendre le chenal du Four. Je ne suis pas dans le timing de la marée. Le vent baisse graduellement. À mi-chemin entre Ouessant et le raz de Sein, je suis presque arrêté. C’est beau la mer d’Iroise, mais on a une qualif à faire, nous !

Point sextant

Construction d’un point au sextant par la méthode des deux droites de hauteur.

 

J’en profite pour faire sécher tout ce qui doit sécher, et faire deux visées au sextant à trois heures d’intervalle. Ça me permettra de faire un point par la méthode des deux droites de hauteur. Ce n’est pas pour jouer au capitaine Haddock, c’est que le règlement impose de faire au moins deux points au sextant pendant ces 1000 milles. On doit ensuite fournir les calculs et les constructions géométriques sur les cartes marines dans le dossier à rendre. J’ai passé beaucoup de temps à potasser cela, assis à mon bureau chez moi. Il faut de la patience pour s’y plonger, et accepter d’avoir un peu de fumée qui sort par les oreilles au début, mais on finit par y arriver.

 

 

 

Pétole

Du pétrole ? Non, de la pétole !

 

 

Ce n’est qu’à la fin de la journée que je retrouve du vent. J’espérais passer le raz de Sein encore de jour, mais tant pis. C’est la cinquième fois que je le passe cette année, mais je ne l’ai jamais fait de nuit. Il y a bien une première fois à tout, alors, allons-y.

La nuit tombe et je prends mes repères : je confirme les codes lumineux des phares à reconnaître, ça colle. Je vois bien chaque chose là où elle doit être. Vingt minutes plus tard, tout cela ne sert plus à rien : on est dans le brouillard le plus total ! Heureusement, les conditions de vent et de mer sont bonnes. Je peux tout faire sur un bord direct, avec vent et courant dans le bon sens. Je décide d’y aller en me basant sur le GPS uniquement. Je ralentis quand même en passant sous GV seule – on ne sait jamais – puis je vise bien le milieu. Il y a un autre voilier qui passe au même moment, je le vois à l’AIS.

À peine le raz franchi, hop, tout se dégage et j’ai un beau ciel étoilé, avec les éoliennes de la baie d’Audierne qui clignotent ! Non mais ça alors, il fallait que ça nous embête pile au passage du raz, pas ailleurs ! Au débriefing, mon entraîneur m’expliquera que c’est un phénomène assez caractéristique.

Jour 6

On vient de repasser la pointe bretonne. La partie nord du parcours est faite, reste la partie sud. Je passe Penmarc’h au matin. C’est alors que survient l’événement majeur de ces neuf jours en mer : je suis soudain assailli par une envie irrépressible de fish and chips ! Avec deux doses de sauce, et la salade verte qui va bien à côté, s’il vous plaît. Le bar Le tour du Monde est à une journée de navigation. Pourtant, ça devra attendre encore un peu. On va se dépêcher d’aller enrouler Rochebonne et l’île de Ré, et on revient. Bougez pas, on arrive, vous pouvez déjà mettre les frites à cuire. De toute façon, il faudrait faire du près pour gagner Lorient, et le vent est bien orienté pour aller vers le sud. Comme s’il agitait l’index d’un air désapprobateur : non mais, c’est quoi, ça ? Monsieur veut se qualifier pour la transat ? Pas encore vraiment prêt, le mec…

Anecdote rigolote, qui impose une petite explication préalable : nous avons des AIS classe B, alors que les grands bateaux ont des AIS classe A. Chez nous, ça contient le n° MMSI, le nom du bateau, ses dimensions et le type de navire. Ces données sont saisies une fois pour toutes par un prestataire agréé. Sur les AIS classe A, il y a en plus une rubrique « destination ». Les bateaux de pêche mettent souvent leur port d’attache. Même sur les navires marchands, ce qui apparaît n’est pas forcément à jour. En descendant dans le golfe de Gascogne j’ai croisé un bateau qui avait renseigné la destination suivante :

destination

C’est un peu comme « toutes directions »

 


Le partie sud du parcours se déroule sans événement majeur à signaler. Encore trois nuits en mer, des conditions toujours maniables, et trois moments de pétole. Pardon, on appelle ça des « transitions », pour faire bien. Passage sous le pont de l’île de Ré pour la troisième fois de l’année.

 

Jour 7

La nuit qui précède l’arrivée à l’île de Ré, je sais qu’il faut bien dormir tant que je suis au large, car mon rythme de veille et de repos va être interrompu. Je ne pourrai plus faire la moindre sieste, même de cinq minutes, avant de m’être dégagé de cet endroit et d’avoir regagné le large. Problème : je n’arrive pas à dormir ! Je suis trop en forme, car j’ai bien dormi la journée précédente. C’est bête, non ? Compter les moutons, les mouettes, les dauphins, les vagues, rien n’y fait. Alors, je m’engage dans ce passage après une nuit blanche.

pont île de Ré

 

J’en ressors de l’autre côté en début de nuit suivante. Le vent est très instable. Je suis à la hauteur des Sables-d’Olonne, et je dois tirer des bords de près dans un vent très irrégulier. J’essaye de mettre le paquet sur les réglages et le matossage pour bien avancer, motivé pour ne pas rester englué dans ce truc plus longtemps. J’attends juste que ça se stabilise pour que le bateau puisse se gérer tout seul, avant d’aller me reposer enfin, et retrouver mon rythme du large.

Il est trois heures du matin, le vent n’est toujours pas stabilisé et la fatigue frappe à la porte. Normal, je n’ai pas dormi depuis 36 heures. Je suis encore lucide, mais je sais qu’il ne faut pas aller plus loin. J’arrête de faire du chichi, je me mets sur le bord de près cap au large, je passe le pilote en mode compas, et moi, je vais dormir 20 minutes. Renouvelables le nombre de fois qu’il faudra. Le plus gros risque maintenant, ce n’est plus de heurter un chalutier non détecté, mais que moi je devienne débile, si je me mets dans le rouge.

Je retombe à deux reprises dans des zones de pétole, allant jusqu’à affaler le solent pour éviter qu’il ne batte inutilement. Pendant ces moments, j’ai souvent pensé à l’entraînement du mois d’avril, au cours duquel j’étais allé reconnaître le passage de l’île de Ré: j’avais fait Ré – Lorient, soit la même remontée que maintenant, en moins de 24 heures grâce à un vent de nord-est bien établi. Et Yeu – Lorient en une nuit. C’était un aller-retour, zoum-zoum, comme deux bords de planning en planche à voile. Sur ce type de bateau, avoir le vent dans le bon ou le mauvais sens, ce n’est pas du simple au double en temps, mais du simple au quadruple.

 

Jour 8

Ce n’est qu’un peu avant l’île d’Yeu, le lendemain, que je retrouve du vent comme il faut pour bien faire glisser le bateau. Suprême luxe, il me permet d’aller dans la bonne direction !

 

 

lever de soleil sur Houat

lever de soleil sur l’île de Houat

 

Jour 9

Dernier coucher de soleil, dernière nuit, dernier lever de soleil sur l’île d’Houat. On termine par un petit Belle-Île – Lorient au près dans 20 à 25 nœuds. Je renvoie de la toile en arrivant à Groix, car le vent se casse la figure. On est presque arrivés, mais on va quand même faire marcher le bateau, hein ! Surtout si mon entraîneur vient à ma rencontre, histoire d’avoir l’air digne !

 

arrivée

arrivée à Lorient (photo Hervé Laurent)

 

 

J’avais laissé le moteur hors-bord sur le bateau (on a le droit en qualif, on s’engage à ne pas l’utiliser). J’aurais donc pu assurer ma manœuvre de port en autonomie, mais voir le comité d’accueil qui vient à ta rencontre pour l’occasion, ça fait tout de même plaisir !

Voici l’objectif de l’été 2024 atteint : on l’a enfin faite, cette qualif, à la place du calife ! J’attendais de l’avoir réussie pour me permettre le jeu de mots.

À suivre : le débriefing de la saison 2024, en texte et en vidéo, avec des images non encore incluses dans les vidéos précédentes.